Réhabilitation de la manufacture d'armes de Saint Étienne

Maitre d’ouvrage : Établissement public d’aménagement de Saint Étienne
Maitre d’œuvre :
– Atelier du Rouget Simon Teyssou & associés / mandataire
– Atelier de Montrottier Loïc Parmentier & associés
– EUCLID (bet tout corps d’état)
Montant de l’enveloppe financière : 3 850 000 € HT
Calendrier :
Concours perdu (classé 2nd)
Localisation :
Zac Plaine Achille, 42000 Saint-Étienne

L’APPROCHE PATRIMONIALE

La question du patrimoine architectural est le plus souvent abordée sous l’angle de l’objet matériel que l’on a en face de soi et de la date de sa construction. On considère que, pour être le témoignage d’une époque révolue, il doit le moins possible s’éloigner de sa « condition initiale ». Son évolution pour accueillir de nouveaux programmes ou s’adapter à la demande sociétale représenterait la perte de ce témoignage du passé. Cette approche conduit à « muséifier » de nombreux bâtiments, dont le rôle se réduit alors à être des objets figés d’admiration, exploités essentiellement pour leur attrait touristique. Elle peut également conduire au « façadisme », en fabriquant des coques « historiques » qui masquent l’évolution intérieure du programme.

Une autre démarche pour le « devenir monument » d’un bâtiment est de considérer « l’esprit du patrimoine ». Il ne s’agit pas de figer une évolution, mais d’inscrire cette évolution dans les pas des hommes, les motivations et les savoir-faire qui ont façonné la chose construite, depuis sa naissance et au travers de ses différentes modifications. C’est prendre conscience que le « patrimoine matériel » est surtout porteur d’un « patrimoine immatériel » et considérer que ces deux aspects ont une importance équivalente. De cette manière, c’est aussi prendre position pour un certain projet de société, appuyé sur un passé qu’il connait et respecte, mais tourné vers le futur sans aucune forme d’idéalisation d’un « autrefois » fantasmé.

La demande de la maîtrise d’ouvrage, qui associe cette dernière idée du patrimoine à l’idée d’économie inventive est en ce sens très cohérente.

Les deux thèmes se recoupent très fortement. En effet, lorsqu’on considère la Manufacture d’armes et son histoire, il apparaît très clairement que le site est déjà, en soi, l’expression bâtie d’une forme d’économie inventive. C’est au départ un « bâtiment machine », conçu en fonction du cheminement de l’eau et des spécificités de l’outillage. La logique utilitaire qui a présidé à la construction initiale ainsi qu’à ses mutations constantes et ses additions successives découle de ce principe : il s’est à chaque fois agi de trouver la manière la plus juste et la plus économe de répondre à un problème précis avec les moyens à disposition.

Il s’agira donc de se servir du patrimoine existant de manière libre et respectueuse, dans l’esprit de l’économie inventive, et au-delà de toute démarche de muséification d’un ensemble bâti dès l’origine pour des raisons utilitaires. Notamment :

– Ne pas chercher à retrouver un « état initial », et considérer le bâtiment d’origine au même titre que ses modifications successives, qu’elles soient a priori nobles ou moins nobles, en affirmant que c’est cet ensemble qui fait la spécificité patrimoniale de la Manufacture d’armes

– Considérer chaque chose, chaque édicule, chaque élément de construction pour ce à quoi il peut servir aujourd’hui – le site fait le programme ; si son utilité n’est pas évidente dans un premier temps, il convient de ne pas le détruire et se laisser le temps de la réflexion

L’ÉCONOMIE INVENTIVE : UNE NÉCESSITÉ

Par son insistance sur la dimension d’économie inventive, l’appel d’offres tel qu’il est formulé représente pour nous une formidable occasion de repenser nos manières de faire de l’architecture et d’interroger notre responsabilité d’architecte.

En effet, dans le contexte actuel marqué par une crise profonde et sans aucun doute durable qui voit se raréfier les moyens de la puissance publique, il nous semble absolument impératif de remettre en question les critères par lesquels nous évaluons une bonne architecture, ou un bon projet. Au-delà des qualités esthétiques, ou de performance technique d’un bâtiment, le critère du coût mis en regard avec le service qu’il rend, mérite d’être davantage au centre des discussions.

Plutôt que d’apprécier une « qualité architecturale » dans l’absolu, sans considérer les conditions de sa fabrication, c’est le rapport « qualité-prix » d’un bâtiment qui devrait être évalué.

Bien au-delà du projet de la Manufacture, savoir maîtriser les coûts pour en faire un enjeu et un moteur du projet est pour nous une dimension essentielle du métier, que nous devons développer pour affirmer le caractère public de notre discipline, au coeur de la cité. La crise oblige à faire mieux avec moins, à investir chaque euro de manière plus juste. La gestion des ressources devient alors une question centrale.

La crise oblige à rebattre les cartes. Nous considérons l’accord-cadre pour la réhabilitation de la Manufacture de Saint-Étienne comme une occasion concrète de le faire.

L’ÉCONOMIE INVENTIVE : UNE LOGIQUE DE MATÉRIAU

À partir de ce constat d’une économie inventive à l’oeuvre dans les premières étapes de la construction de la Manufacture, il nous semble intéressant d’interroger les moyens qui ont été mis en oeuvre. Dans la Manufacture, les années 1860-70 ont été celles de la pierre de taille, du calcaire et de la brique. Les années 1930-1940 ont plutôt été celles du béton, toujours associé à la brique. À chaque époque, ces matériaux se sont imposés comme des évidences. De par leur disponibilité, la proximité des savoir-faire nécessaires à leur mise en oeuvre, leurs coûts respectifs, ils répondaient parfaitement aux enjeux de leur temps en termes d’architecture utilitaire.

Nous pensons que le matériau qui s’impose comme une évidence dans les années 2010-2020 est le bois.

En effet, le bois peut être utilisé en structure, en parement, pour les sols, pour le cloisonnement ou pour le mobilier. Il est une ressource renouvelable, disponible localement. Parce qu’il s’inscrit dans une filière sèche, il réduit les délais de construction ainsi que les nuisances de chantier et génère beaucoup moins de déchets.

Si l’ambition de l’économie inventive est de mettre la question des coûts au centre des attentions, alors il est nécessaire de parler de coût global : coût d’investissement, d’exploitation et éventuellement de démolition/recyclage. Coût écologique aussi : le coût qu’auront à supporter les générations futures. Dans ce cadre, le bois s’impose encore davantage comme une évidence : il stocke le CO2 alors que tous les autres matériaux en émettent lors de leur fabrication.

La prise en compte de la performance énergétique dans le bâtiment est récente, mais elle est rapidement devenue le seul critère de référence pour les concepteurs comme pour les maîtres d’ouvrage. Cela mène parfois à des réalisations absurdes, très technologiques et dont l’entretien pourra poser de graves problèmes d’ici quelques années. Nous pensons qu’il faut surtout prendre en compte l’énergie grise (l’énergie totale utilisée par un bâtiment au cours de sa vie, de la fabrication de ses composants, leur transport, l’exploitation du bâtiment ainsi que sa démolition). Parce que cela demande une vision à long terme, et ne peut se réduire à des prévisions de consommation livrée clé en main avec le bâtiment, l’EPA est idéalement placé pour prendre à bras le corps cette problématique. En effet, une difficulté rencontrée aujourd’hui pour promouvoir ces approches à long terme est le temps court de l’alternance politique.

L’utilisation du bois est aussi une manière de combiner deux des compétences propres à l’EPA, celle d’aménagement et celle de développement économique. Mettre à l’honneur le bois dans la construction, c’est se donner la possibilité de faire avec les ressources locales du territoire, de faire en quelque sorte un « projet local » tel que l’entend Alberto Magnaghi1. La construction du bâtiment devient alors, en soi, un projet de développement territorial, un projet qui synthétise et condense l’identité d’une région.

Pour les plus grosses sections de bois qui servent à la structure, on imagine facilement les fûts fraîchement sciés descendre les vallées de l’Ondaine ou du Furan pour retrouver la Manufacture, à l’image des nombreux sous-traitants qui participaient à la production d’armes installés sur les bords des cours d’eau.

Travailler avec le bois c’est aussi, beaucoup plus souvent qu’avec le béton ou les autres matériaux, travailler avec des entrepreneurs compétents et passionnés par leur métier. La plupart du temps (encore aujourd’hui), ce sont des entreprises à taille humaine, réactives par rapport aux évolutions technologiques et avides de partage d’expérience. Le savoir-faire de l’agence dans le domaine de la construction en bois permet d’engager des dialogues féconds avec ces artisans, sur des questions de détail autant que de structure. La maîtrise des pièces écrites dans les DCE donnés aux entreprises permet d’orienter vers des essences locales, malgré les difficultés posées par la loi MOP sur ce favoritisme géographique.

L’ÉCONOMIE INVENTIVE : EXPÉRIENCES CANTALIENNES

LA SALLE DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE LA CHAMBRE D’AGRICULTURE

Le projet s’est efforcé de conserver les éléments constitutifs du lieu plutôt que de les remplacer. Après une discussion constructive avec la maîtrise d’ouvrage, l’ensemble du mobilier initialement voué à disparaître a fait l’objet d’une réfection soignée par un tapissier pour les fauteuils et par un ébéniste pour les tables.

Le faux plafond acoustique doré, fortement connoté « seventies » a également été sauvé. Il a même inspiré le choix de la teinte et la texture des nouvelles tapisseries recouvrant les fauteuils des administrateurs.

Des aménagements ponctuels ont amélioré le confort d’usage de la salle des sessions par la mise en oeuvre de doublages acoustiques en chêne, d’une nouvelle moquette pour le sol et de systèmes d’occultation des grandes baies de la salle pour rendre possible la projection d’images.

La démarche de conception a donc consisté à valoriser les dispositifs et le mobilier existants, sans a priori esthétique, en considérant les choses en place qui remplissaient encore pleinement leur fonction. Leur conservation et leur restauration ont nourri en retour le caractère des nouveaux aménagements.

LES GÎTES FLEURY

La commande portait sur la réalisation de quatre gîtes ruraux dans une ferme traditionnelle de la châtaigneraie cantalienne. Deux gîtes prennent place dans une ancienne grange-étable, un autre dans une ancienne soue à cochons prolongée d’un séchoir à châtaignes, le dernier dans un deuxième séchoir à châtaignes et sa remise attenante.

Plutôt que de purger les édifices de leurs ajouts et appendices successifs, le projet s’efforce de conserver le « déjà-là » pour répondre à un budget très contraint économiquement (765 euros/ m2 SHON). Le projet assume en outre le caractère hybride et la logique additive qui découle de l’expression de ces nouveaux besoins.

L’approche est d’abord partie d’une discussion sur les usages. Cette analyse fine a permis ensuite de vraiment cibler les interventions. L’idée a été d’immerger les touristes de passage — souvent des urbains en quête de campagne — dans une atmosphère radicalement différente de leur propre logement. Pour y parvenir, les structures existantes — murs en schiste, charpente et volige en châtaignier — sont exposées dans toute leur brutalité. Les nouveaux aménagements, sobres et lisses (chapes liquides en béton et panneaux plaqués en chêne pour les partitions intérieures) entrent en contraste avec les matières rustiques préexistantes.

Un questionnement thermique a accompagné la réflexion sur le changement de destination de ce patrimoine vernaculaire. Considérant l’occupation saisonnière des gîtes, aucune isolation des parois verticales n’a été envisagée rendant possible la conservation de l’aspect intérieur des murs en schiste. Une fois les lauzes de schiste déposées, l’isolation des toitures s’est fait sur la volige existante, conservée pour son aspect en sous face. Une nouvelle volige posée sur tasseaux soutient les lauzes triées et reposées.

Le caractère provisoire de l’acte d’habiter dans les gîtes permet en outre d’explorer des spatialités et des modes de distribution décalés. Dans l’un des gîtes, l’escalier qui met en communication les deux niveaux est extérieur et exploite des emmarchements en pierre préexistants, mémoire du parcours du paysan qui récupèrerait ses châtaignes séchées sur un plancher ajouré disposé à distance au-dessus du foyer.

Les espaces intérieurs sont décloisonnés pour rendre possibles les continuums spatiaux verticaux. Le confort proposé dans les gîtes est sommaire : seule une chambre par gîte se ferme. Les autres sont disposées sur des mezzanines pour révéler les charpentes dans leur totalité. Celles-ci sont en effet un des caractères singuliers de l’architecture vernaculaire cantalienne.

LA MANUFACTURE DE PARAPLUIES À AURILLAC

Cette reconversion d’une manufacture de parapluies en studios de danse à Aurillac est l’expression d’un processus de conception singulier. Très peu de plans ont été dessinés par notre équipe d’architectes. Seuls la structure en bois et les escaliers ont fait l’objet de dessins précis pour anticiper la phase de chantier. Tout le reste a été dessiné in situ sous forme de croquis et de tests grandeur nature, en présence du maître d’ouvrage et des entreprises.

Le choix d’abolir toute forme de faux plafonds dissimulant les réseaux a rendu nécessaire une attention quotidienne sur le chantier au parcours des fluides. Ceux-ci ont été positionnés in situ, et non pas sur un écran d’ordinateur.

La contrainte du budget (moins de 1000 euros/m2) nous a poussés à proposer des dispositifs qui remplissent plusieurs fonctions à la fois. Ainsi, les meubles dessinés spécifiquement pour ce projet remplissent une triple fonction : ils partitionnent les espaces intérieurs, offrent des rangements sous forme de casiers, et font office de miroirs pour les danseurs studio de danse. Ces meubles sont mobiles et peuvent être déplacés pour dilater l’espace du studio en cas de représentations ouvertes au public.

WOODWAY

La société Woodway a racheté une partie des ateliers et de l’outillage de la société Gilet, fabricant de meubles de cuisines et de salles de bains à Aurillac. Important fabricant d’ameublement, et l’un des principaux employeurs du bassin aurillacois, l’entreprise Gilet avait fait faillite immédiatement après sa reprise par un investisseur privé.

Woodway, dirigé par Jean Pierre Ladvie, développe aujourd’hui des produits de construction, briques et modules en panneaux OSB, à partir de procédés constructifs dérivés des techniques d’assemblage propres aux métiers d’ameublement (rainures et collage) hybridés avec des technologies industrielles issues des équipements de sports d’hiver (assemblage par câbles, notamment).

Inventive, cette société a su adapter l’outil de production de l’usine d’ameublement pour développer de nouveaux produits constructifs à partir de caissons en OSB 4 (sans colle) remplis ou non d’un isolant en fonction des performances recherchées.

Cette expérience singulière de mutation industrielle fait écho aux tentatives multiples de reconversion des manufactures d’armes de Saint-Étienne. Elle pourrait être convoquée pour envisager la réalisation de partitions à très bas coût pour le projet de l’imprimerie 2. En effet, fournies et posées, ces cloisons brutes en caissons OSB, potentiellement support a des peintures au pochoir, ou des revêtements divers (bulletin board, etc.) sont plus économiques que des cloisons en plaques de plâtre et sont facilement démontables.

L’ÉCONOMIE INVENTIVE : UN ÉTAT D’ESPRIT POUR L’ARCHITECTE

La pratique de l’atelier s’est développée à partir du cadre rural. Cette spécificité marque profondément la philosophie de l’agence. En effet, ces espaces de projet particuliers souvent abandonnés des pouvoirs publics sont marqués par la nécessité de faire face à des dynamiques importantes (dépeuplement ou, au contraire, périurbanisation ; changements dans les modes de vie ; évolutions du métier d’agriculteur ; etc.) avec des moyens très limités, autant en termes financiers qu’en termes de compétences. Les petites communes n’ont pas de services techniques dédiés, par exemple.

Le rapport de l’architecte à l’expression du besoin, au programme et au site est alors nécessairement très différent que dans les grandes villes. Une grande capacité d’écoute et une forme de souplesse sont indispensables. Aussi, l’expérience nous montre que la montée en qualité générale du territoire se fait par petites touches, en apportant soin et précision à chaque sujet rencontré. Il n’y a pas de petit projet, et l’architecte est comme un « médecin de campagne », au chevet des petites communes pour s’occuper des maux les plus bénins comme les plus graves.

Dans cet état d’esprit, l’installation provisoire de toilettes (le site est traversé par une dynamique événementielle…) fera l’objet d’une attention tout aussi poussée que le réaménagement de tout un corps de bâtiment. Très loin d’une logique d’auteur, nous sommes convaincus que c’est de petites choses autant que de grands gestes que découlera la réussite globale du projet de la Manufacture.

La dynamique de l’accord-cadre permet ce genre de relation entre l’architecte, le maître d’ouvrage, l’urbaniste et le site qui fait l’objet du projet. Proposant une disponibilité forte et un fonctionnement itératif par évaluations successives, chaque projet permettant de discuter le prochain, nous serons des interlocuteurs tout autant que des techniciens-concepteurs. Du fait de cette expérience rurale, l’agence a appris à mettre les rapports humains au centre de la pratique, pour le plus grand bénéfice du projet.

Nous sommes également des architectes intéressés par le « faire », par la manière dont les choses se construisent. Il ne s’agit pas que de dessiner et ensuite laisser aux entreprises la responsabilité de réaliser. Il s’agit de discuter, de s’interroger sur les savoir-faire. L’agence est là-dessus force de proposition, ce qui permet un véritable dialogue avec les entreprises. Pour nous, le chantier est un moment clé du processus, permettant d’actualiser la conception au plus près des conditions réelles de fabrication du projet.

Ces deux aspects combinés, celui de la disponibilité de l’architecte et celui de notre intérêt pour le « faire » nous incite à proposer d’envoyer un collaborateur pour être « architecte en résidence » dans la Manufacture.

Le prototype du premier bureau livré deviendrait alors son bureau, et il serait une sorte de « janitor » à l’américaine : un homme (ou une femme), dont le rôle est de « s’occuper » d’un bâtiment dans toutes ses dimensions. Pendant la phase chantier, il accompagnerait les jeunes entreprises en train de s’installer, discuterait avec elles l’opportunité de tel ou tel aménagement, l’ergonomie de travail de l’ameublement prévu, etc. Pour celles qui disposent de moyens limités, il pourrait proposer un accompagnement à l’autoconstruction, une forme de conseil situé. Par exemple, dans le pack d’installation proposé par la pépinière, outre l’accès à un réseau informatique et à des salles de réunion, un forfait de 3 h de conseil architectural pourrait être inclus…

De la même manière, « l’architecte en résidence » pourrait être moteur dans l’organisation « architecturale » d’évènements permettant de promouvoir l’appropriation de certains lieux voués à de futurs aménagements. Ces « tests » permettraient notamment d’affiner le choix du programme le plus adapté aux différents espaces.

Cette proximité avec les usagers, avec le projet qui prend vie, permettrait de tirer parti de ces retours d’expérience le plus rapidement possible, dans un esprit itératif et incrémentiel. Pour aller plus loin encore, nous pourrions même envisager d’installer un logement prototype dans les bâtiments de liaison. Ce logement, qui servira à l’architecte en résidence, pourra aussi servir de logement témoin auprès de bailleurs ou de promoteurs intéressés pour investir dans la Manufacture.

L’ÉCONOMIE INVENTIVE : COMMENT RÉMUNÉRER L’ARCHITECTE ÉCONOMIQUEMENT INVENTIF ?

L’économie inventive pousse à reconsidérer la manière dont sont rémunérés l’architecte et la maîtrise d’oeuvre en général. Le cadre conceptuel habituel semble inadapté. L’objectif est de faire un projet moins cher, donc avec moins de matière, mais en engageant autant, voire plus de matière grise ! Or aujourd’hui, en liant sa rémunération au volume des travaux, l’architecte se retrouve dans une situation paradoxale… Comment faire mieux avec moins si cela veut dire être payé moins ? Pour faire à nouveau le parallèle avec les médecins, imagine-t-on qu’il soit rémunéré au kilo de médicaments qu’il arrive à faire ingurgiter à son patient ?

Les estimations en temps à passer paraissent alors les plus adaptées à ce type de projet. Nous pourrions aussi envisager que la rémunération soit corrélée à la quantité de surface aménagée, toujours avec la même enveloppe de départ.

Le déroulé des missions de la loi MOP est aussi à interroger. Vu la configuration répétitive de l’existant et l’incertitude relative du programme, le détail technique pourrait être le premier élément à travailler… Ce détail donnera une somme des possibles que nous pourrons ensuite décliner en fonction des souhaits du maître d’ouvrage et des négociations avec les représentants de la réglementation.

Quoi qu’il en soit, cette question de l’économie inventive demande donc de revoir les processus dans leur ensemble. D’une certaine manière, le maître d’ouvrage devra lui aussi être inventif économiquement.

STRATÉGIE DE PEUPLEMENT

Nous considérons qu’il est important de s’inscrire dans la continuité des logiques de circulations initiées dans le plan guide ainsi que dans les opérations livrées ou en cours. Le bon rapport entre les sols et les bâtiments est primordial pour parvenir à livrer une opération cohérente.

Ainsi, nous pensons que l’aile nord du H Sud doit poursuivre la logique amorcée dès à présent dans les travaux en cours dans le H Sud, avec notamment la création des passages ouverts, ou semi-ouvert au public. La cour centrale semble plus destinée à un usage singulier à caractère public affirmé. Les cours du H-Nord, quant à elle, seront associés aux rez-de-chaussée attenants, et tireront partie du caractère déjà présent (minéral / végétal).

Le phasage et la « stratégie de peuplement » du H Nord dépendent très fortement des réglementations ayant trait à la sécurité incendie d’une part et l’accessibilité des PMR d’autre part. Les différentes faisabilités que vous avez jointes au dossier en attestent : à chaque fois, c’est une question réglementaire qui a motivé son évolution (accès PMR ou sécurité incendie).

Dans l’esprit de l’économie inventive, une bonne maîtrise de ces règlements ainsi qu’un échange approfondi avec le contrôleur technique et service des pompiers nous seront indispensables. Ces derniers doivent s’approprier l’idée « d’économie inventive », car ils en sont aussi les acteurs.

Ensemble, il s’agira de faire preuve d’agilité intellectuelle pour :

– limiter l’impact des normes et de la réglementation sur le coût de réhabilitation du bâtiment

– assurer confort et sécurité aux occupants

Pour ce faire, nous voyons deux approches principales :

– reprendre la stratégie de l’Imprimerie 1 qui consiste à découper le grand bâtiment existant en plusieurs établissements indépendants de petite taille et donc faiblement contraignants en termes de réglementation (ERP 5e catégorie dans ce cas)

Nous proposons pour ce faire d’ouvrir des passages dans le bâtiment qui fonctionneront comme isolation des établissement entre eux du point de vue de la réglementation incendie. Ces passages seront publics ou semi-publics et accueilleront les circulations verticales.

– multiplier les liaisons entre les différents éléments de programme pour proposer plus de solutions d’évacuation et mutualiser au maximum les coûteuses circulations verticales (ascenseurs et escaliers)

Dans cette optique, nous proposons de relier les deux ailes du H Nord par des passerelles métalliques légères, comme réminiscence des passerelles démolies. Ces passerelles permettront d’une part, la circulation des PMR, l’évacuation en cas d’incendie, et d’autre part, elles apporteront également une certaine qualité de parcours, de rapports à l’extérieur et d’intensité d’échanges entre les habitants du H Nord de la manufacture.

LE SYSTÈME « BÀF »

Cette indétermination sur l’emplacement du programme qui, comme nous vous l’avons dit, dépend en grande partie de discussions avec les pompiers et le contrôleur technique de l’opération, ne nous empêche pas de commencer à travailler sur le sujet.

En effet, au-delà des questions réglementaires, la question des usages particuliers du site et des différents niveaux de confort est très explicite dans les différents documents que vous nous avez présentés. D’une certaine manière, sur le site, cet esprit existe déjà. Une gradation presque complète des niveaux d’usage et des niveaux de confort existe :

– le studio d’enregistrement de France Bleu est complètement hermétique et son ambiance interne est parfaitement maîtrisée par la climatisation et par un dispositif de double fenêtre acoustique, le local est en quelque sorte « hors du site »

– au contraire, les ateliers des étudiants de l’ESADSE ne sont constitués que par des sortes de parois-meubles génériques, faciles à déplacer, qui permettent le minimum d’intimité dans le travail

Pour nous, la capacité de la manufacture à accueillir ces contrastes forts entre des niveaux de confort différents et des coûts d’investissement différents est une des grandes richesses du projet et une expression selon nous de « l’économie inventive ».

La confrontation du précieux et du « grunge », c’est la promesse d’un lieu de brassage social, à l’image d’une médina arabe, ou, tout simplement, d’un véritable morceau de ville (qui aura le grand avantage de ne pas être circulé par les voitures…) Avec cet « esprit du programme », basé sur la mixité des niveaux de finition, et du fait de la répétitivité géométrique de la Manufacture, nous pouvons d’ores et déjà vous proposer l’ébauche d’un système capable de répondre à des besoins fluctuants :

– des aménagements évolutifs, dont on peut augmenter le confort au fur et à mesure que l’entreprise grandit ou se solidifie (pas d’aménagements temporaires : on ne fait pas pour défaire, chaque chose est une base pour l’étape suivante)

– des aménagements rapides, économiques et réalisables en site occupé, grâce notamment à l’utilisation de panneaux préfabriqués en OSB transportables et manipulables sans outillage spécifique

– un système de partition qui peut se décliner sous plusieurs formes, permettant de répondre à des situations et des niveaux de confort spécifiques (le même système peut se décliner du meuble au mur porteur…)

ÉTAPES DE PRÉPARATION

Démolir le faux plafond et révéler la charpente existante.

Actuellement, un faux plafond (composé en certains points d’un dispositif de confort acoustique), diminue fortement la générosité des volumes de l’étage du H-nord. En démolissant ce faux-plafond, nous redonnons au lieu une qualité d’espace non-négligeable, une respiration, et redécouvrons la charpente de la toiture en place.

 

 

 

Isoler sous la toiture.

Lisolation de la 5ème façade s’attachera, en fonction des situations (réfection ou non de la toiture), à laisser au maximum apparente la charpente révélée suite à l’étape précédente.

 

 

 

 

 

Créer un nouveau sol

En créant un nouveau sol, nous isolons l’étage du niveau inférieur. Cette action fait partie des transformations «pionnières» indispensables, pérennes, constituant un «socle» support aux évolutions futures du lieu.

 

 

 

 

Mettre en place les réseaux (ventilation, chemins de cables, etc…)

En laissant les réseaux apparents, nous suivons une économie réfléchie, où les dépenses superflues sont proscrites. Nous nous inscrivons ainsi dans l’esthétique intrinsèque de la manufacture et dans la continuité des opérations déjà livrées. Cette mise en œuvre permet également une souplesse de répartition et une intervention aisée en site occupé.

 

 

 

Isoler les façades

Il s’agit de mettre en place le doublage intérieur, et de remplacer les menuiseries. Les lieux pourraient être habitables, dans l’esprit «grunge», sans cette intervention. Dans un souci de répartition des coûts dans le temps, nous pourrions proposer que cette transformation se fasse dans un second temps, en site occupé. Il est également envisageable de démolir les allèges, afin de maximiser les apports solaires, proposer un rapport à l’extérieur plus généreux : apporter un confort supplémentaire non négligeable. Cependant, si nous faisons ce choix, alors nous devons procéder à l’ensemble de ces transformations, avant que le site soit occupé.

COMPOSITION DU PLAN

Le programme dans son ensemble fait état d’un questionnement sur l’opportunité de mélanger les activités des plus précaires aux mieux installées. En mettant en oeuvre le système de cloisonnement suggéré dans le présent mémoire, nous révélons le souhait de composition d’un système vivant.
Une grande variété de configurations et d’appropriations est permise. Cela ne veut pas dire que l’architecte se désengage : il s’agit d’un système vivant dans le sens où il est constamment réévalué, amélioré.

LE SYSTÈME WOODWAY

Qu’est-ce que l’OSB 4 ?

L’OSB 4 (Oriented Strand Board) est un panneau a lamelles de bois orientées, minces et plus ou moins longues (de 0,3 a 0,5 mm d’épaisseur et jusqu’à 8 cm en longueur). Il possède une excellente résistance mécanique. Il s’agit par ailleurs du panneau de bois le plus économique du marché. Les lamelles sont encollées et composent un matelas de trois couches successives. La méthode de frittage est employée pour extraire la colle présente naturellement dans les lamelles de bois résineux pour la réemployer comme colle naturelle dans la chaîne de production. Ainsi aucune colle artificielle n’est rajoutée dans le processus de fabrication des panneaux en OSB 4, ainsi dépourvus de formaldéhyde.

Employés comme panneaux de contreventement dans les murs a ossature, les panneaux OSB sont produits en très grande série. Assemblés par rainurage et collage, techniques issues de l’industrie d’ameublement, les panneaux OSB 4 forment des partitions verticales sous forme de caissons verticaux remplis ou non d’un isolant. L’épaisseur des caissons varient en fonction de la performance acoustique ou thermique désirée, ou en fonction de la résistance mécanique recherchée : les parois verticales sont en effet susceptibles de porter des planchers intermédiaires.

L’assemblage des caissons en OSB entre eux est réalisé par Velcro industriel, technique utilisée pour fixer les parements intérieurs des TGV et des Airbus. Il s’agit d’un mode d’assemblage très simple, concurrent a la vis, garantissant une grande simplicité de mise en oeuvre, y compris par un personnel peu qualifié. L’effort a l’arrachement fait l’objet d’un calcul précis pour assurer la stabilité des ouvrages.





ADDITIONS SUCCESSIVES

La mise en place, in situ, de telles partitions pourraient être exécutée par une entreprise de réinsertion ou par les membres d’une association communale de chômeurs longue durée. Les travaux se feraient alors sous la direction d’un chef de chantier qualifié pour obtenir la garantie décennale.

La mise en place, in situ, de telles partitions pourraient être exécutée par une entreprise de réinsertion ou par les membres d’une association communale de chômeurs longue durée. Les travaux se feraient alors sous la direction d’un chef de chantier qualifié pour obtenir la garantie décennale.

APPROPRIATION DU «BÀF»

Nous proposons un système évolutif prêt à finir, et non pas temporaire ou transitoire. Plusieurs niveaux de confort, de sécurité, de finition sont possibles, soit en un seul investissement, soit par des investissements successifs. Les récits qui suivent mettent en évidence les différents scénarios rendus possibles

DÉCLINAISON DU SYSTÈME

De la cloison au mur porteur

Un intérêt certain de ce système réside dans sa souplesse, au travers de sa capacité à adapter la section de son ossature primaire (de nombreuses variations possibles) en fonction des besoins. Ainsi, Le système choisi, en s’épaississant, permet également de fabriquer des murs porteurs plus conséquent en intégrant un isolant. Cela permet d’envisager de nouvelles possibilités pour réinvestir les lieux en fabriquant des volumes et des hauteurs plus généreux.

DÉCLINAISON SPATIALE ET PROGRAMMATIQUE

Le rapport à l’enveloppe existante

Nous l’avons dit, la richesse de la manufacture existe notamment au travers de sa diversité programmatique et spatiale, tant sur la manière d’habiter, d’utiliser les lieux, que sur le niveau de finition des différents espaces. Le système que nous proposons permet ces variations et s’inscrit donc dans la continuité du processus enclenché.
Le système « BAF » proposé pour réinvestir globalement le R+2 du H Nord oriente une requalification de l’enveloppe, notamment thermique, permettant une logique de composition libre et variable à l’intérieur de celle-ci. Différemment, sur les parties RDC plus particulièrement, nous proposons de conserver au maximum l’enveloppe existante (peut-être même les menuiseries) afin d’y introduire de nouveaux volumes de tailles, hauteurs, voire d’altitudes variées (déclinaison du système Woodway). Nous cherchons ici à conserver et révéler la qualité d’espace, de matière et d’ambiance de ces lieux particulièrement ouverts et vastes. Nous envisageons d’ailleurs la pose de cloisons vitrées pour résoudre les questions règlementaires, le cas échéant, afin de conserver les continuités visuelles si généreuses.
Cette logique permet de développer un imaginaire singulier d’interstices (« la boite dans la boite ») et invite à une occupation optimale de l’espace dans toute sa hauteur (« habiter les poutres »). L’utilisation de ces volumes, qui peuvent se clore dans un espace ouvert, est multiple. Ce sont potentiellement des lieux pour stocker, ou bien pour s’élever dans le volume existant, ou encore pour recréer des sous-milieux en fonction des besoins (confort thermique, acoustique, maîtrise de la lumière, …). De la même manière que pour le système « BAF », ces « boites » sont évidemment déclinables en différentes tailles et différents niveaux de finitions que l’on peut faire évoluer aisément.